« Ne pas confondre le gouvernement allemand et les Allemands »
Très critique envers la plupart des positions de son compatriote Wolfgang Schäuble, Sven Giegold s’est impliqué dans la négociation de l’accord du 20 mars dernier sur la Résolution. Il rappelle les positions du Parlement sur ce second pilier de l’Union bancaire, qui demeure perfectible.
Quelle est l’empreinte de l’Allemagne sur l’Union bancaire, notamment sur la Supervision unique qui ne s’appliquera de façon systématique qu’aux 128 plus grandes banques de la zone euro ?
Dans le pilier Supervision, la différenciation entre grandes et petites banques s’explique essentiellement par les pressions exercées par l’Allemagne. Cela ne signifie pas pour autant que les petites banques allemandes ont des choses à cacher. Ces établissements ont toujours résolu leurs problèmes eux-mêmes, et ce de façon assez efficace jusqu’à présent. Ils estiment que si une même supervision est appliquée à toutes les banques, elle sera trop complexe, distante et peu adaptée aux petits établissements. Je dois dire que, du point de vue du principe de subsidiarité, cette position se défend.
Dans le pilier Résolution, pourquoi le gouvernement allemand veut-il que le fonds de résolution soit créé sur la base d’un traité intergouvernemental ?
Les négociations sur le mécanisme et le fonds de résolution constituent l’une des choses les plus folles que j’ai jamais vues. Je suis shadow rapporteur de ce texte pour les Verts et les autres rapporteurs partagent mon avis. Une des choses les plus étranges a été cette véritable aventure concernant le fondement légal du fonds de résolution. De très nombreux experts estiment que le traité sur l’Union européenne constitue une base légale solide pour créer le fonds de résolution. Le Parlement européen, la Commission, le Conseil et même le service juridique du Bundestag estiment que l’article 114 constitue un fondement légal sûr, mais M. Schäuble a estimé qu’il fallait élaborer un traité intergouvernemental pour créer un fonds intergouvernemental, et il a fait du chantage fin 2013 auprès de ses collègues du Conseil en leur disant « ce sera ça ou rien ». Ainsi, alors que le seul allié de l’Allemagne dans la zone euro était la Finlande, l’ensemble du Conseil s’est rendu à l’avis allemand, comme le montre l’accord de décembre dernier. Cela est tout à fait regrettable et M. Schäuble – qui n’a jamais donné le fondement légal de sa position – ne fait pas l’unanimité en Allemagne.
Pourquoi l’Allemagne a-t-elle cherché à ralentir le rythme de la mutualisation de ce fonds de résolution ?
Il s’agit d’un réflexe politique de la part de M. Schäuble – et de la majorité de la grande coalition au Bundestag –, qui cherche systématiquement à entraver les processus de mutualisation. Dans le cas du fonds de résolution, il craint que les banques allemandes ne payent pour les erreurs commises par d’autres. Pourtant, je ne pense pas que le secteur bancaire allemand sera le premier contributeur de ce fonds. En plus, les erreurs du secteur bancaire ne sont pas nationales. Par ailleurs, plus la mutualisation de ce fonds est retardée, et plus la rupture du lien entre les banques et les états est repoussée.
Sur la question du backstop, Wolfgang Schäuble ne veut pas aller trop loin. Pourquoi ?
Le terme backstop est trompeur et il peut effrayer s’il est compris comme une anticipation de futurs sauvetages de banques par des fonds publics. Ce que demande le Parlement, c’est de fournir au fonds de résolution une ligne de crédit garantie [1]. Deux options sont envisageables :
- soit le fonds de résolution sera autorisé à emprunter sur les marchés et ses remboursements bénéficieraient d’une garantie publique ;
- soit le fonds pourra emprunter auprès d’une instance publique, par exemple le Mécanisme européen de stabilité (MES).
Cet appui est indispensable à la crédibilité du système. Et il n’induit pas d’aléa moral puisque le fonds de résolution est financé par les banques.
Comment expliquez-vous la puissance de l’Allemagne, qui parvient très souvent à imposer ses positions? La France, qui pourrait faire contrepoids, est-elle mauvaise négociatrice ?
Quand un pays a des problèmes internes, il est plus faible sur la scène internationale. De plus, votre ministre de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici, a moins de poids politique que son homologue allemand. Cela est regrettable, car l’équilibre entre la France, l’Angleterre et l’Allemagne est déterminant pour une gouvernance de qualité et démocratique à l’échelle européenne.
La presse financière française a globalement tendance à présenter l’Allemagne comme un acteur qui freine la construction de l’Union bancaire. Que vous inspirent ces articles ?
Je suis au courant de ce phénomène. J’espère tout de même que les français ne confondent pas le gouvernement allemand et les Allemands. J’ajoute, en pensant aussi bien à la France qu’à l’Allemagne, qu’il est plus facile pour ces États de se plaindre de leurs partenaires que de régler leurs problèmes internes.
Enfin, les français ne doivent pas oublier que, parfois, c’est le gouvernement français qui va à l’encontre de la logique de l’Union bancaire. Par exemple, la BRRD oblige à soumettre au bail-in au moins 8 % du bilan des banques avant que leur renflouement par des fonds publics ne soit autorisé, mais la France a réclamé des exemptions, qu’elle a obtenues avec l’article 27(2). Chercher à maintenir cette tendance qu’ont les États à subventionner leurs banques est scandaleux. Cela n’est pas éthique et c’est une conception bizarre du socialisme.
Les dernières élections allemandes ont-elles renforcé les positions de Mme Merkel et M.Schaüble dans les négociations sur l’Union bancaire?
Oui, d’une certaine façon, car la grande coalition n’est guère contestée. Toutefois, le SPD est assez proche des positions du Parlement sur le pilier Résolution. Dans la grande coalition, le SPD a accepté la ligne dure des conservateurs, bien que le chapitre européen dans l’accord de la coalition ait été négocié par Martin Schulz. Dommage !
Qu’attendez-vous de la part du secteur financier ?
En tant qu’écologiste, je me préoccupe du financement de la transition énergétique, donc nous avons besoin d’un secteur financier solide, qui doit agir efficacement et de façon transparente dans l’intérêt des consommateurs.
Quelle est globalement l’attitude du gouvernement allemand sur les questions économiques européennes ?
Les solutions pour sortir plus rapidement de la crise de la zone euro sont bien connues, mais la plupart des options ont été bloquées par le gouvernement allemand, depuis le début de la crise. De ce fait, nous n’avons pas d’eurobonds, pas de debt redemption fund, nous progressons beaucoup trop lentement vers une gouvernance plus fédérale et démocratique de l’économie, et maintenant, l’achèvement de l’Union bancaire (qui doit également comprendre des fonds européens de garantie des dépôts) est ralenti. Il s’agit d’une tentative d’obstruction permanente de la part de gouvernement allemand.
Diriez-vous que la France est plus fédéraliste que l’Allemagne ?
La France est prête à partager sa souveraineté sur de nombreux sujets, mais elle hésite à s’orienter vers une union politique qui impliquerait d’accorder davantage de pouvoir au Parlement et de transformer le Conseil en seconde chambre. Ces deux blocs correspondraient aux fondations d’une démocratie européenne. La France hésite à s’engager dans la voie d’un fédéralisme politique qui rendrait plus efficace la gouvernance économique européenne.
Et l’Allemagne ?
Depuis la création de l’euro, la France évoque le besoin d’un gouvernement économique. Mais l’Allemagne estime qu’il ne faut pas avancer dans cette direction sans établir au préalable une véritable démocratie européenne, avec un fort contrôle de la part du Parlement. La France, quant à elle, conçoit la démocratie européenne comme la coordination des différents gouvernements.
Propos recueillis par Sophie Gauvent