La crise impose à l’Europe de repenser en profondeur ses politiques économiques,
par Pascal Canfin, Daniel Cohn-Bendit et Sven Giegold
Le 11 février, les chefs d’Etat et de gouvernement européens se retrouveront à Bruxelles à l’invitation d’Herman Van Rompuy, le nouveau président de l’Union européenne, pour débattre de la stratégie économique de l’Union.
Ce sommet doit être l’occasion de réviser les grands mécanismes qui organisent la gouvernance économique et la solidarité entre les Etats. Car si la crise conduit légitimement à réformer les marchés financiers et les banques, elle doit aussi interroger en profondeur les politiques économiques de l’Union. La gestion de la crise financière a montré le peu d’appétence des Etats à coordonner leur politique de relance. Pourtant, le maintien du modèle social européen passe par une plus grande coopération entre les Etats membres sur le plan budgétaire, fiscal et par une réforme du pacte de stabilité et de croissance.
Le budget de l’Union plafonne aujourd’hui à 1 % du PIB européen quand le budget fédéral américain s’établit à 20 % du PIB du pays. Cet écart reflète bien sûr des histoires différentes, mais il montre également que l’Union est un nain budgétaire. Les Etats sont prompts à reprocher à la Commission européenne de ne pas impulser une véritable politique industrielle, de recherche et d’infrastructures. La critique est justifiée. Mais c’est en partie parce qu’ils ne lui en donnent pas les moyens financiers.
Or, face au changement climatique par exemple, il faut organiser la mise en commun de nos efforts de recherche pour inventer les techniques dont nous aurons besoin pour diminuer radicalement le contenu en carbone de nos modes de production et de consommation. La négociation sur le budget européen pour la période 2014-2020 commence en 2010. La France et l’Allemagne doivent proposer une augmentation progressive du budget de l’Union de 1 % à 5 % du PIB européen en 2020 financé au moins en partie par un impôt direct levé par l’Union.
Pour financer ce budget européen, et retrouver des marges de manoeuvre financière leur permettant de réduire leur déficit et leur endettement public, les Etats doivent agir de concert sur la fiscalité. L’absurde concurrence fiscale entre eux conduit à ce que le taux d’imposition des entreprises ne cesse de baisser dans l’UE. La reconquête d’une plus grande souveraineté fiscale passe, comme ce fut le cas en matière monétaire, par une meilleure coordination européenne.
Ce grand chantier se fonde sur quatre priorités : l’adoption de la directive sur l’assiette fiscale consolidée pour les multinationales européennes de façon à limiter les „délocalisations fiscales“ ; la mise en place de l’échange automatique d’informations entre les Etats européens d’une part, et entre l’Union et les pays tiers, d’autre part, pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux ; le développement d’une fiscalité sur l’énergie qui permettrait, si elle est réalisée directement au niveau européen, de favoriser les modes de production les plus écologiques tout en évitant les distorsions de concurrence entre les pays au sein du marché unique ; et l’instauration d’une taxe sur les transactions financières.
Sauf à être démagogique, il est impossible de défendre une monnaie unique sans des critères de gestion financière communs et donc des engagements communs en termes de déficit budgétaire et de gestion de la dette publique. Pour autant, le pacte de stabilité et de croissance est aujourd’hui obsolète : la majorité des Etats de la zone euro ne le respectent pas et ses „angles morts“ ont été mis en évidence.
Ainsi, avant la crise, l’Espagne affichait des chiffres de déficit et d’endettements publics conformes au pacte de stabilité mais elle laissait déraper l’endettement privé qui a nourri une bulle spéculative. Résultat : quand la bulle explose, la récession est pire qu’ailleurs (le taux de chômage espagnol est de 19 %) et les comptes publics plongent dans le rouge. La zone euro doit donc se doter d’un outil supplémentaire de gouvernance économique qui permettra à la Commission et à la Banque centrale européenne (BCE) de mettre la pression sur les Etats qui laissent se constituer des bulles spéculatives. Autre angle mort du pacte de stabilité : les déficits et les surplus de la balance courante, c’est-à-dire principalement le solde des échanges de biens et services.
Dans une économie aussi intégrée que celle de la zone euro, les déficits des uns forment les excédents des autres. Par sa politique agressive de réduction du coût du travail, l’Allemagne limite sa consommation intérieure et prend des parts de marché à ses concurrents européens tout en ne jouant pas son rôle de locomotive de la zone euro. Si la déflation salariale peut être une stratégie gagnante pour un pays pris isolément, elle devient contre-productive si tous les pays de la zone en font autant.
Or, faute de pouvoir réaliser une dévaluation de leur monnaie, les pays membres de la zone euro les plus touchés par la crise, l’Espagne, l’Irlande, la Grèce… s’engagent déjà dans cette voie sous l’effet de l’application du pacte de stabilité. Si l’Etat grec doit faire des efforts pour diminuer l’économie informelle et améliorer l’efficacité de ses dépenses publiques, la solution durable va bien au-delà de la vision punitive portée actuellement par la Commission.
Les Etats membres, et particulièrement ceux de la zone euro, sont à la croisée des chemins : soit ils continuent de pratiquer des comportements non coopératifs et ils prennent le risque de faire exploser les acquis européens, au premier rang desquels l’euro. Soit ils sortent de la crise par le haut en mettant en place de nouvelles coopérations. Cela passe par des transferts de souveraineté nationale. Mais cela permet de gagner de la souveraineté européenne pour garantir nos modèles sociaux. Cette année sera une année charnière. Bon courage, M. Van Rompuy !